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ITER n'est pas de la science-fiction. Mais ce 26 mai, quand la base du cryostat a été extraite de son berceau d'acier, soulevée par les treuils du pont roulant et emportée vers le puits d'assemblage du Tokamak, tout évoquait le décollage d'un vaisseau spatial en partance pour les étoiles : le rituel de la vérification des systèmes ; le mouvement de l'énorme masse s'élevant sans effort apparent dans les airs et l'émerveillement que chacun ressentait face à un événement qui n'était presque plus à échelle humaine.
La base du cryostat en forme de vaisseau spatial s'élève lentement de son cadre de support. C'est le début d'une opération inédite.
Mardi 26 mai, la base du cryostat ITER se séparait lentement de son socle et se déplaçait lentement du Hall d'assemblage jusqu'au Bâtiment tokamak, où elle était déposée dans la fosse. Pour les amateurs du film « Rencontres du 3ème type », la référence s'imposait. De la forme iconique de cette pièce géante à la signification même de l'événement : une nouvelle ère s'annonçait. Car l'installation de ce premier élément majeur de la machine nous laissait entrevoir un monde nouveau, dans lequel l'énergie de fusion aura toute sa place. Un monde où le cours de la civilisation se trouvera bouleversé par la disponibilité de cette source d'énergie propre, sûre et virtuellement illimitée.
Les opérations menées ce jour-là dans le Hall d'assemblage représentent l'aboutissement d'un travail de longue haleine. Il aura fallu 10 ans aux équipes pour concevoir, construire, livrer, assembler puis souder la base de ce cryostat, un des composants les plus importants de la machine ITER. Une fois les différents éléments du cryostat réunis, l'ensemble représentera un cylindre de 30 mètres de haut sur 30 mètres de diamètre.
Si ce cryostat est un élément aussi crucial, c'est parce qu'il isole le système magnétique de l'environnement extérieur, et contribue à le maintenir à température cryogénique.
Le cryostat est une prouesse technologique indienne. Ses différents éléments ont été fabriqués par l'entreprise Larsen & Toubro sur son site industriel de Hazira, au nord-ouest de l'Inde, sous le contrôle de l'agence indienne. Les premiers éléments constitutifs du cryostat sont arrivés à ITER au mois de décembre 2005 et la base de 1 250 tonnes est achevée depuis le mois de juillet 2019. Prenant la suite des partenaires indiens, l'organisation ITER a mené à bien les opérations de pré-assemblage avant d'acheminer la base du cryostat jusqu'au Hall d'assemblage au mois d'avril dernier.
Se déplaçant à la vitesse d'un mètre par minute et à une hauteur de 24 mètres, l'élément de 1 250 tonnes parcourt les 110 mètres qui séparent l'entrée du Hall d'assemblage, où il était entreposé depuis la mi-avril, du puits du tokamak.
Le film de Spielberg ne précise pas s'il a été long, compliqué et délicat de tester les procédures d'atterrissage du vaisseau spatial. Pour la base du cryostat, rien n'a été laissé au hasard et les étapes préparatoires à son déplacement ont duré près d'une semaine.
La base ayant été assemblée et soudée à l'intérieur d'une structure robuste jouant le rôle d'exosquelette, il a fallu l'extraire délicatement de ce berceau et s'assurer tout au long de l'opération que ses déformations n'excédaient pas les tolérances et demeuraient contenues dans les limites du « domaine élastique » de l'acier.
Arrimée aux quatre palonniers du double pont-roulant, la base a d'abord été soulevée de quelques centimètres, puis de quelques mètres, afin de régler précisément les systèmes de levage. Les experts en métrologie sont intervenus plusieurs fois au cours de la manœuvre, vérifiant que les mesures concordaient avec les modèles établis.
C'est ainsi qu'au matin du 26 mai, les experts ayant exprimé leur totale confiance, l'opération a pu être engagée. Et voici la base du cryostat qui s'élève et glisse dans les airs pour un voyage de 110 mètres qui la conduira d'un bout du bâtiment à l'autre, survolant les deux portiques « de sous-assemblage » hauts de 20 mètres pour se positionner enfin à la verticale de l'ouverture circulaire de la fosse du tokamak.
La partie inférieure de la base du cryostat arrive maintenant en bordure de la couronne de béton sur laquelle reposent la machine et le cryostat. Deux vérins hydrauliques, situés entre deux plots à gauche, s'apprêtent à être activés pour fournir un soutien temporaire à la structure.
Une fois la base suspendue au-dessus de la fosse, l'une des phases les plus délicates de toute l'opération attendait les équipes: la lente descente, effleurant presque les parois, vers le fond du cylindre de béton et le positionnement, au millimètre près, sur le système de support.
Avant que l'opération ne soit engagée, Bernard Bigot, directeur général d'ITER, avait souligné l'importance de cette étape et assuré les équipes de sa confiance. « Nous nous apprêtons à vivre un moment qui restera à jamais dans nos mémoires. Ce que vous allez accomplir collectivement aujourd'hui n'a jamais été réalisé auparavant. Ce sera une première. Nous faisons confiance aux calculs d'ingénierie, à la stratégie et au contrôle ; nous faisons confiance à la science des matériaux ; nous faisons confiance à la métrologie. Mais ma confiance aujourd'hui, c'est d'abord en vous que je la place, vous qui formez une équipe déterminée et d'un grand professionnalisme, convaincue comme nous le sommes tous que l'échec n'est pas une option. »
La suite des événements lui a donné raison puisque mercredi 27 mai, dans l'après-midi, le premier et plus massif des composants de la machine ITER était en place, quelques centimètres au-dessus des vérins hydrauliques qui supporteront son poids une fois les dernières mesures et ajustements effectués. L'ensemble reposera ensuite sur les plots de support du cryostat (plus de détails dans la galerie photos ci-dessous).
Cette opération spectaculaire marque le début d'un nouveau chapitre dans la longue histoire d'ITER.