Après ITER
Démonstrateur pré-industriel, quasi-prototype... dans la conception des différents DEMO, rien n'est encore figé — c'est le retour d'expérience d'ITER qui dessinera les différents visages de la prochaine machine.
La conception du programme ITER est le fruit de plusieurs décennies de recherche dans le domaine de la physique des plasmas et dans la technologie des machines de fusion. Le retour d'expérience d'ITER permettra de concevoir une nouvelle génération de machines, collectivement appelées « DEMO » qui conduira la fusion au seuil de la phase industrielle.
Les connaissances et l’expérience accumulées par ITER tout au long des phases de conception, de construction, de mise en service de la machine et d’exploration scientifique seront mises à profit pour concevoir la génération suivante. Ces machines permettront de tester le fonctionnement en régime continu, d’étudier différents systèmes de récupération de l’énergie, d'obtenir un rapport puissance injectée/puissance générée (« Q ») de 30 à 50 (par rapport à Q ≥ 10 pour ITER), et de démontrer l'autosuffisance en tritium. Les machines de la phase DEMO seront sans doute plus simples qu’ITER : les systèmes de diagnostics seront beaucoup moins nombreux et leurs caractéristiques privilégieront la récupération d'énergie plus que l'exploration des régimes de plasma. Chacun des membres d'ITER est aujourd’hui engagé dans un programme DEMO.
Les programmes DEMO
La Chine développe une machine—CFETR (Chinese Fusion Engineering Testing Reactor)—dont les caractéristiques se situent à mi-chemin d’ITER et de DEMO. CFETR devra démontrer un ensemble de technologies-clés et valider les performances du plasma. Deux phases d’opération sont prévues, avec une puissance de fusion atteignant 1 000 MW thermiques en deuxième phase. La conception technique de CFETR a été finalisée en 2020 ; la construction devrait être parachevé en 2040. À plus court terme, préalablement à CFETR, la Chine construira une installation de recherche (CRAFT, pour Comprehensive Research Facilities for Fusion Technology) pour tester des technologies avancées dans les domaines des aimants supraconducteurs et du divertor.
En Europe, le projet DEMO (DEMOnstration power plant) est actuellement en phase d’études conceptuelles. La machine doit démontrer la viabilité technologique et économique de la fusion en produisant plusieurs centaines de MW d’électricité nette. Elle doit également tester la production de tritium au sein même de la machine en mettant en œuvre des « modules tritigènes ». L’équipe DEMO Europe évalue actuellement les options technologiques pour le divertor, la première paroi, et la production de tritium. On prévoit un début d’opération vers 2050. À plus court terme, une source de neutrons est à l'étude (VNS, pour Volumetric Neutron Source) pour tester les technologies nucléaires de fusion envisagées pour DEMO.
Au Japon, un réacteur JA-DEMO est à l’étude pour démontrer le fonctionnement stable en régime continu à l’horizon 2040/2050. JA-DEMO produira plusieurs centaines de MW d’électricité nette à partir d’une puissance de fusion de 1500 MW ou plus. La machine doit démontrer l’autosuffisance en tritium, une bonne disponibilité des installations, et un rapport énergétique positif entre le rendement de la machine et la consommation électrique de l’ensemble de l'installation.
L’Inde envisage de construire un réacteur pilote d’une puissance de fusion de 200 à 300 MW pour valider le rendement énergétique, la production de tritium et son recyclage pendant un fonctionnement long, et la production d’électricité. Ce projet interviendrait préalablement à la construction d’un réacteur DEMO compact et extrapolable à l’échelle commerciale. Aucun calendrier n’a encore été publié.
La Corée prévoit de construire le réacteur K-DEMO, un tokamak conçu pour démontrer la production nette d’électricité à partir de 2050. Un des défis sera de concevoir et de fabriquer des bobines de champ toroïdal capables de générer un champ magnétique maximum de 16 teslas (11,8 teslas pour celles d’ITER). La construction d’une installation test—SUCCEX, pour Super Conducting Conductor Experiment—est en cours pour le développement de ces bobines. La Corée travaille également sur un DEMO virtuel, V-DEMO—un réacteur de fusion conçu dans l’espace numérique avec l’aide des supercalculateurs, de l’intelligence artificielle et de la technologie « digital twin » (jumeau numérique)—pour préparer les activités de conception de K-DEMO.
Le projet DEMO de la Corée: un tokamak d'un « grand rayon » de 6,65 mètres (comparé aux 6,21 mètres d'ITER).
La Russie prévoit un DEMO-RF de type tokamak avant 2055, pour démontrer la production d’électricité de fusion de l’ordre du gigawatt (1 000 MW). Une installation hybride fusion-fission fait partie des configurations étudiées, avec des supraconducteurs haute température et l’utilisation de métal liquide pour les éléments face au plasma (première paroi et divertor). Avant DEMO-RF, la Russie prévoit de construire DEMO-FNS (DEMO Fusion Neutron Source), une installation hybride fusion-fission basée sur des réactions D-T et une puissance de fusion au démarrage de 40 MW. Des études de conception sont également en cours pour TRT, un tokamak qui mettrait en oeuvre des technologies d'un réacteur de fusion.
Les Etats-Unis explorent plusieurs pistes pour hâter l’exploitation commerciale de l’énergie de fusion : définition d’un cadre règlementaire propre aux réacteurs de fusion, financement de la recherche et développement, soutien à la filière industrielle, l’éducation et formation, tout en assurant la promotion de l’énergie de fusion auprès du public. En sélectionnant de soutenir financièrement certains programmes de fusion des laboratoires nationaux, des universités ou de l’industrie privée, les Etats-Unis entendent contribuer à l’émergence de plusieurs concepts de réacteurs DEMO.
D'autres installations, aux caractéristiques et aux objectifs différents, seront exploitées à travers le monde dans une perspective de développement des matériaux avancés, de l'autosuffisance en tritium et de l'évacuation de la chaleur. Au-delà de DEMO, l'étape finale consistera à construire un réacteur prototype, optimisé pour produire de l'électricité de manière économiquement compétitive—une décision qui procédera la perception de l’urgence par chacun des pays impliqués et du choix politique qui en résultera.