Construction : quand l'art et son histoire surgissent à chaque pas
"Quand j'étais enfant, dans l'Espagne post-franquiste, j'étais élève dans un établissement qui privilégiait l'expression artistique, explique-t-il. Et quand bien même j'ai choisi de devenir ingénieur en génie civil, j'ai conservé quelque chose de cette éducation initiale. Mais après tout, le dessin joue un rôle essentiel dans l'ingénierie civile et il faut avoir une sorte de flair pour la géométrie, les volumes et l'occupation de l'espace. »
Au mois de septembre 2019, une rencontre allait se révéler décisive. Dans le cadre du 70e anniversaire de sa création, Ferrovial avait confié la réalisation d'un travail photographique sur ITER à José Manuel Ballester, un artiste espagnol de renom.
"Sa grande culture artistique lui permettait de mettre des noms sur ce qui, pour moi, n'était qu'une intuition. Nous avons partagé notre émerveillement face à la pure beauté des structures d'ITER et de leur environnement. C'était comme si l'art, et l'histoire de l'art, surgissaient à chaque pas. »
Dès lors, Oriol commença à photographier des scènes à l'intérieur et autour du Bâtiment tokamak. Des ouvriers dans un échafaudage prenaient les traits et les attitudes des Constructeurs (1950) de Fernand Léger ; les formes et les couleurs de certaines ouvertures dans le mur, encadrées d'acier jauni, évoquaient irrésistiblement le Malevitch de Aéroplane en vol (1914-1915) ; la géométrie d'un ferraillage semblait reproduire quasiment à l'identique le Screen (1998) d'Andy Goldsworthy ; une structure de béton dans telle ou telle cellule paraissait tout devoir à Eduardo Chillida ; le bardage en acier poli des façades renvoyait à l'œuvre d'Anish Kappoor et un tube au néon accroché au mur semblait avoir été délibérément installé par Dan Flavin...
Au cœur du Complexe tokamak et dans d'autres bâtiments, Oriol identifiait l'héritage du concrétisme et du néo-concrétisme, du cubisme, du constructivisme, du minimalisme, du futurisme... comme si le site d'ITER s'était mué en un immense musée d'art moderne et contemporain.
Quand VFR décida de publier un livre de 300 pages largement illustrées, pour célébrer les sept millions d'heures de travail que le consortium avait investies dans la construction du Complexe tokamak, Oriol profita de cette opportunité pour explorer dans un « modeste essai » ce qu'il appelle « le lien fascinant entre l'art abstrait et la construction ».
Pour Oriol, ITER est "un chef d'œuvre unique d'art et de construction » qui nous invite à « dépasser la perception habituelle des structures de béton et d'acier et à dévoiler leur improbable dimension artistique. »
Tandis que le chantier s'achève, les exemples de cet art brut disparaissent peu à peu. Bientôt, l'œil sera sollicité par d'autres formes, d'autres compositions et d'autres volumes mais la beauté continuera de se manifester sous d'autres formes : dans l'étrangeté d'une pièce géante, dans la complexité d'un équipement, dans l'éclat éblouissant d'une décharge de plasma.