60 ans de progrès
En une soixantaine d'années, grâce à un immense effort de recherche, la performance des plasmas produits par les machines de fusion a été multipliée par 10 000. Il reste aujourd'hui à multiplier leur performance par moins de 10 pour réaliser un réacteur.
Le tout premier tokamak au monde : la machine russe T1 de l'Institut Kurchatov de Moscou. Dans sa chambre à vide en cuivre, elle produisait des plasmas avec un volume de 0.4 mètres cubes.
À la suite des premières expériences de fusion réalisées dans les années trente, la plupart des nations industrialisées s'étaient dotées de laboratoires consacrés à la physique de la fusion. Dès le milieu des années cinquante, des « machines de fusion » étaient exploitées en Union Soviétique, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France, en Allemagne et au Japon. Pas à pas, la compréhension du processus de fusion s'affina.
Les premières machines, dans les années 1950 à 1970, étaient des machines de petite taille dont la technologie et les systèmes de contrôle étaient relativement simples. Ces machines ont cependant démontré que l’on pouvait générer des plasmas de haute température et que leur énergie pouvait être confinée. Ces premières expériences ont également permis d’identifier de nouveaux phénomènes physiques, comme le « transport anormal » lié à la turbulence ; les instabilités ou les perturbations. De même, la mise en évidence des « lois d’échelle » a laissé entendre, dès cette époque, que le confinement de l’énergie pouvait être amélioré à condition de disposer de machines de plus grande taille mettant en œuvre des champs magnétiques plus puissants.
Une percée majeure fut réalisée en 1968 en Union soviétique. Des chercheurs parvinrent à atteindre des niveaux de température et des temps de confinement du plasma — deux des paramètres essentiels de la fusion — jamais obtenus par le passé. La machine soviétique consistait en un dispositif de confinement magnétique en forme d'anneau baptisé tokamak.
Le tokamak s'imposa dès lors comme le concept dominant parmi les chercheurs qui travaillaient sur la fusion, et les machines se multiplièrent dans la plupart des pays développés.
Tokamaks dans le monde
La seconde génération, dans les années 1980, est caractérisée par l'utilisation extensive des moyens de chauffage auxiliaires. En équipant les tokamaks d'un divertor, on obtint un meilleur confinement et l'on introduisit de nouvelles techniques de préparation des parois internes de la machine. En 1982, le tokamak ASDEX expérimenta pour la première fois un mode de confinement élevé, le « Mode H ». Une nouvelle génération de tokamaks de plus grande taille, comme le JET (Europe), JT-60 (Japon), TFTR (USA), KSTAR (Corée), et T-15 (Union soviétique), se donna alors pour objectif l'étude de plasmas dans des conditions aussi proches que possible de celles d'un réacteur de fusion. Intégrant les dernières avancées de la recherche dans le domaine de la fusion, ces machines ont été régulièrement améliorées. On introduisit les aimants supraconducteurs, les opérations en deutérium-tritium ou encore les opérations de télémanipulation. L'expérience accumulée par ces machines a largement contribué à la conception d'ITER. En 1991, le tokamak JET a réalisé une première mondiale en produisant de l'énergie de fusion de manière contrôlée.
Depuis, dans le monde entier, les installations de fusion n'ont cessé de progresser. Le tokamak Tore Supra du centre de recherche nucléaire de Cadarache détient le record de durée d'un plasma (6 minutes et 30 secondes). Quant au JT-60 japonais, il a atteint la valeur du triple produit de fusion (densité, température, temps de confinement) la plus élevée à ce jour. Aux Etats-Unis, des installations de fusion ont obtenu des températures de plusieurs centaines de millions de degrés Celsius. Des nouveaux tokamaks—le EAST chinois et le KSTAR coréen—sont venus agrandir les rangs.
Depuis les années 2000, les installations de fusion ont été modifiées, adaptées, et leur programme scientifique réorienté pour soutenir l'exploitation d'ITER. Ces installations explorent les plasmas en mode « avancé » ; les interactions plasma-paroi ; la validation des matériaux et les méthodes optimales d'extraction de l'énergie — elles contribuent ainsi à la réussite d'ITER et à la conception de l'installation qui lui succédera. (Vous trouverez la description de ces installations et de ces laboratoires dans la section Les tokamaks au cœur de la recherche).
Lors d'une ultime campagne d'expériences, au mois de décembre 2023, les chercheurs européens du Joint European Torus (JET) ont réalisé un record à 69 mégajoules libérés sous forme d’énergie de fusion.
Conçu et financé par l'Union européenne et le Japon, le JT-60SA est aujourd'hui le plus grand dispositif de fusion nucléaire au monde.
ITER et au-delà
Toutes ces prouesses ont permis à la science de la fusion d’approcher le breakeven—le point d'équilibre énergétique du plasma, qui correspond à l’égalité entre la puissance de chauffage injectée dans le plasma pour créer les conditions de la fusion et l’énergie produite par les réactions de fusion une fois amorcées (Q=1). Tandis que le JET est parvenu à restituer sous forme d'énergie environ 70 % de la puissance qui lui avait été apportée (Q=0.67), le tokamak ITER produira 500 MW d'énergie pour 50 MW injectés dans le plasma par ses systèmes de chauffage (Q≥10).
La recherche progresse également sur des dispositifs de fusion magnétique tels que des stellarators, ou de fusion inertielle (basée sur la compression du plasma par faisceaux laser). À la fin de l'année 2022, le National Ignition Facility (NIF) aux États-Unis, a réussi, pour la première fois, à dépasser le breakeven (Q=1.5) ; cependant, l'ingénierie associée à cette approche est considérée comme sensiblement moins avancée que celle de la fusion par confinement magnétique, et donc plus éloignée de la commercialisation.
Des start-ups toujours plus nombreuses, soutenues par d’importants d'investissements, affichent également leur volonté de développer des machines de fusion fondées sur une grande variété de technologies. Plusieurs facteurs expliquent cet intérêt grandissant pour la fusion : le développement de nouveaux matériaux et le choix de nouvelles approches qui pourraient permettre de concevoir des réacteurs de plus petite taille que ceux que l’on envisage aujourd’hui; l’expérience accumulée par ITER dans la conception, la fabrication, la livraison et l'assemblage des éléments d’un réacteur, et l’émergence d’une filière industrielle que ces activités ont suscitée ; les succès récents affichés par plusieurs laboratoires de fusion dans le monde ; et la prise de conscience mondiale de la nécessité de développer des sources d’énergie « propre » alternatives.