Des neutrons à l'électricité
L'énergie produite dans le cadre du programme ITER actuel sera majoritairement captée par l'eau de refroidissement qui circule dans la couverture (« blanket ») sous pression et à basse température (4,0 MPa et 70°C à l'entrée), avant d'être transférée vers le système d'évacuation de chaleur. Dans les machines DEMO de la prochaine phase et dans les réacteurs de fusion, le flux de chaleur récupéré par les circuits de refroidissement sera transféré vers un fluide du cycle de production d'énergie, dans un échangeur de chaleur. Un fluide de refroidissement à haute température sera nécessaire pour assurer une efficacité économiquement acceptable du cycle de production d'énergie. Dans cette optique, les modules de couverture expérimentaux (« tritium breeding blanket ») d'ITER seront testés avec leurs propres systèmes de refroidissement autonomes.
Les modules de couverture expérimentaux sont des structures situées dans les « bouchons » (« port plugs ») de certaines pénétrations de la chambre à vide. Les quatre modules prévus pour la première campagne d'essais prévus sur la machine ITER mesureront approximativement la taille d'une personne adulte (1,7 x 0,5 x 0,6 mètres). Ils seront montés sur deux des pénétrations équatoriales du tokamak (les pénétrations 16 et 18) qui sont exclusivement réservées à cet usage.
Situés directement face au plasma et maintenus par d'imposants systèmes auxiliaires, les modules de couverture expérimentaux seront utilisés pour mettre en évidence la capture de l'énorme quantité de chaleur générée par les neutrons qui s'échappent du plasma. Ce procédé de refroidissement permettra de démontrer qu'il est possible de convertir cette chaleur en électricité utilisable, jetant ainsi les bases d'une future centrale de fusion.
Le processus est supervisé par Mario Merola, le responsable du programme Technologies nucléaires d'ITER. Après avoir travaillé pour l'Accord européen pour le développement de la fusion (EFDA) à Garching, en Allemagne, Mario Merola a rejoint ITER en 2006. Il dirige aujourd'hui une équipe de 80 personnes chargée de gérer l'ensemble des éléments face au plasma, notamment la couverture, le divertor, les modules tritigènes, la cellule chaude et les dispositifs de télémanipulation.
« Comme c'est souvent le cas en science de la fusion, les principes sont relativement simples, explique-t-il, mais en pratique, ils se révèlent difficiles et complexes à mettre en œuvre. En termes d'échelle du programme et de matériaux utilisés, nous sommes confrontés à des défis d'une ampleur inédite pour les scientifiques et les ingénieurs et, bien sûr, c'est ce qui fait tout l'intérêt de ce travail ! »
Normalement, il existe deux manières de produire de l'électricité à partir de la chaleur générée par la réaction de fusion nucléaire : le refroidissement à l'eau et le refroidissement à l'hélium. Ces deux méthodes seront testées par ITER dans le cadre du programme des modules de couverture expérimentaux, lui-même composé de quatre sous-programmes déjà en cours de mise en œuvre par les Membres d'ITER. Les programmes de refroidissement à l'eau sont développés par le Japon et l'Europe alors que les programmes de refroidissement à l'hélium sont menés par la Chine et, dans le cadre d'un projet conjoint, par la Corée et l'Europe. Ces quatre programmes seront expérimentés simultanément dans la machine ITER.
Refroidissement à l'eau
La première méthode, le système de couverture expérimentale refroidie à l'eau, utilise le même cycle thermodynamique que les réacteurs à eau pressurisée (REP) de la fission nucléaire. L'eau est pompée sous haute pression (15,5 MPa) vers le module de couverture expérimental, où elle est réchauffée par les neutrons émis par le plasma pour atteindre une température de 325°C. Cette eau, qui demeure sous forme liquide grâce à la pression, est utilisée pour transférer la chaleur à l'extérieur du tokamak, vers de l'eau sous plus basse pression située dans un circuit de refroidissement secondaire qui génère de la vapeur. Dans une centrale électrique, cette vapeur serait ensuite transférée vers des turbines pour produire de l'électricité.
« Le refroidissement à l'eau présente des avantages évidents, souligne Mario Merola, car il fait appel à une technologie déjà largement utilisée dans les centrales nucléaires classiques du monde entier. Mais, revers de la médaille, il n'est pas très efficace car nous ne récupérons qu'un tiers environ de l'énergie générée par la conversion de l'énergie thermique en énergie électrique. »
Refroidissement à l'hélium
La deuxième méthode, le système de couverture expérimentale refroidie à l'hélium, repose sur des principes similaires, mais avec une pression plus faible (8 MPa) et des températures plus élevées (500°C). Parmi les gaz utilisables pour refroidir le réacteur, l'hélium est un choix privilégié en raison de son inertie chimique, associée à une conductivité thermique et une chaleur spécifique élevées.
« Les lois thermodynamiques classiques font que l'on obtient une efficacité beaucoup plus importante à haute température, avec des taux de conversion supérieurs à 40%, indique Mario Merola. Mais, sans surprise, l'hélium présente aussi des inconvénients. Il apporte aussi peu de protection contre les neutrons que le vide, et c'est pourquoi une compensation est nécessaire sous la forme d'une protection supplémentaire par de l'acier boronisé. Par ailleurs, l'hélium nécessite une vitesse d'écoulement plus élevée, et donc une puissance de pompage plus importante. »
Lequel de ces fluides de refroidissement est-il le plus susceptible de l'emporter ?
« Tout dépend de la personne à qui vous posez la question, répond Mario Merola avec un sourire. Mais, d'après moi, la solution sera probablement calquée sur la fission nucléaire, qui utilise les deux fluides de refroidissement dans les centrales, avec une probable prédominance de l'eau sur l'hélium. »
Au-delà des contraintes actuelles, existe-il des manières plus efficaces de transformer la chaleur des réactions de fusion nucléaire en énergie électrique ?
« Cela relève encore de l'utopie scientifique, s'exclame Mario Merola. Si la fusion nucléaire au deutérium/hélium-3 était possible, par exemple, on pourrait envisager une conversion directe de l'énergie de fusion en électricité. L'hélium-3 ne possède qu'un neutron, si bien que la réaction ne produirait pas de neutrons mais uniquement des particules chargées, qui pourraient convertir directement la plus grande partie de leur énergie cinétique en électricité. »
Cela serait idéal. Mais la fusion nucléaire au deutérium/hélium-3 n'est possible qu'à des températures supérieures à un milliard de degrés Celsius, ce qui est bien au-delà des possibilités techniques actuelles. Sans oublier la question non-négligeable des sources d'hélium-3, l'un des matériaux les plus rares sur Terre. Il est présent en plus grandes quantités sur la Lune, mais l'exploitation industrielle des minerais lunaires n'est encore qu'une perspective d'avenir.
Une autre possibilité serait la fusion à l'hydrogène/bore-11, qui, elle aussi, ne produit que des particules chargées et utilise un combustible disponible sur Terre. Cependant, la fusion à l'hydrogène/bore-11 nécessite des températures de plusieurs milliards de degrés Celsius, si bien que cette solution reste encore trop futuriste aujourd'hui.
« C'est encore une utopie scientifique, dit Mario Merola pour conclure, mais la fusion nucléaire au deutérium/hélium-3 ou à l'hydrogène/bore-11 est une petite merveille scientifique. Peut-être se concrétisera-t-elle dans quelques générations ? »